des gélules éparses au milieu desquelles se trouve une carte VITALE

Depuis le 18 juillet 2019 (attention, entrée en vigueur différée, voir art.5 du texte) , cela ne fait aucun doute, à condition que ce soit par voie orale, la distribution de médicaments à de tels patients est remboursée. La nomenclature infirmière a été modifiée et il est désormais possible de coter AMI 1,2 l’acte ainsi désigné (la nouveauté est en gras) :

Administration et surveillance d’une thérapeutique orale au domicile des patients présentant des troubles psychiatriques ou cognitifs (maladies neurodégénératives ou apparentées) avec établissement d’une fiche de surveillance, par passage.

Attention, il s’agit bien d’une thérapeutique par voie orale et il n’est pas possible de demander aux organismes sociaux de rembourser si l’infirmière met du collyre à un patient, ou lui applique une pommade. Ces actes-là ne sont tout simplement pas remboursés.

Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 18 juillet 2019 :

La nomenclature ne prévoyait la cotation (AMI1) que pour les patients atteints de troubles psychiatriques.

Administration et surveillance d’une thérapeutique orale au domicile des patients présentant des troubles psychiatriques avec établissement d’une fiche de surveillance, par passage.

On sait combien est périlleuse la prise de médicaments d’un patient Alzheimer, qui est capable (déjà vu, hélas) d’avaler une pastille du lave-vaisselle à la place d’un comprimé, s’il n’est pas assisté d’un soignant.

Mais pour les Caisses, et donc pour ce qui concerne la question du remboursement, peu importe. Ces dernières années, certains organismes sociaux avaient notifié des indus en rafale, afin de faire rembourser aux infirmiers les actes correspondant à des administrations de traitement à des patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence liées à l’âge, ou encore de troubles cognitifs.

Le motif : l’ordonnance ne mentionne pas que le patient est atteint de troubles psychiatriques.

Certaines caisses, plus puristes encore, argumentaient longuement sur la différence entre troubles psychiatriques et troubles cognitifs. Et lorsque les infirmiers produisaient des attestations du médecin, les Caisses invoquaient « l’intangibilité de la prescription » (un moyen bien commode pour refuser toute preuve a posteriori émanant du médecin).

La distinction demeure dans les contentieux portant sur des soins antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme du 18 juillet 2019

Certains de ces contentieux sont encore en cours actuellement, s’agissant de soins d’avant le 18 juillet 2019.

Il est donc important de signaler au moins deux décisions, l’une du tribunal de grande instance pôle social (ex-TASS) de NEVERS le 3 mai 2019 et l’autre, à la suite, de la Cour d’Appel de DIJON le 4 juillet 2019. Elles apportent un rai de lumière dans l’univers du contentieux de la cotation.

Troubles psychiatriques/troubles cognitifs :

Devant le Tribunal de Grande Instance de Nevers (on a attendu que la décision soit définitive pour la commenter), la Caisse faisait partie des « puristes ». Elle avait soutenu que les distributions de traitements (par voie orale) à des patients atteints de troubles cognitifs n’étaient pas remboursables car ces patients n’avaient pas de « troubles psychiatriques ».

L’infirmière invoquait de nombreux articles scientifiques qui établissaient que les troubles cognitifs pouvaient être une composante de troubles psychiatriques, et elle faisait aussi remarquer que la nomenclature devait évoluer. Il était aussi produit de nombreux « mementos » de différentes Caisses, assimilant troubles psychiatriques et troubles cognitifs.

Le tribunal, lui, juge tout simplement qu’ »il est médicalement établi que les troubles cognitifs rentrent dans la catégorie des troubles psychiatriques »….

Devant la Cour d’Appel de Dijon, c’est une autre Caisse qui, elle, admettait d’emblée que les troubles cognitifs doivent être assimilés aux troubles psychiatriques…. C’est un des nombreux cas où bizarrement on a vu que la règle change d’une région à l’autre…

A noter, et ceci avait été plaidé à Nevers, que de nombreux « guides de facturation » édités par les Caisses elles-mêmes à l’usage des infirmières, reprennent depuis longtemps l’idée que, pour la distribution de médicaments, les troubles cognitifs sont assimilés aux troubles psychiatriques (mémo infirmiers de l’assurance maladie de Vendée, mémo de l’URPS de Dijon par exemple).

C’était déjà vrai à Dijon. A Nevers, il a fallu que le juge l’écrive.

Un personnage issu d'un epeinture du XIXème siècle : un homme jeune avec des yeux hagards se tient la tête avec les mains exprimant une tension nerveuse forte.
une infirmière en blouse blanche avec un dossier dans les mains. SUr sa bouche deux morceaux de sparadrap rouge forment une croix, exprimant le secret médical

C’est ce que soutenaient les Caisses dans ces deux affaires. Or évidemment la pathologie du patient ne figure jamais sur une ordonnance ! A fortiori s’il s’agit de troubles psychiatriques ou cognitifs.

On regrettera que ni le tribunal de Nevers ni la Cour de Dijon, comme cela était proposé, n’aient repris la liste des mentions « obligatoires » des ordonnances ou des prescriptions médicales. Ils en auraient conclu que la pathologie du patient n’a pas à être mentionnée sur une ordonnance.

Quel dommage aussi de lire dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Dijon que « Mme Y ne peut justifier sa facturation en invoquant le secret médical opposé par certains médecins alors qu’en application de l’article L.162-1-7 du code de la sécurité sociale, la prise en charge ou le remboursement par l’assurance maladie de tout acte ou prestation réalisée par un professionnel de santé, est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article, l’inscription sur la liste pouvant elle-même être subordonnée au respect d’indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l’état du patient ainsi qu’à des conditions particulières de prescription, d’utilisation ou de réalisation de l’acte ou de la prestation ; que l’article 10 susvisé impose bien la mention des troubles psychiatriques, la mention de troubles cognitifs étant tolérée par la caisse  ».

Ces affirmations procèdent d’une confusion…. Il n’appartient pas à la NGAP d’imposer des mentions sur les ordonnances. Les mentions obligatoires sur les ordonnances relèvent du code de la santé publique, du code de la Sécurité Sociale ou de la déontologie du médecin. L’art.10 (NGAP) « n’impose » évidemment pas la mention des troubles psychiatriques sur l’ordonnance. Et les ordonnances n’ont pas (ou pas encore) à reproduire la nomenclature infirmière. Simplement en cas d’absence de ces troubles, les soins ne sont pas remboursables. Mais la preuve de ces troubles est un fait juridique et elle est donc libre (comme le relèvent d’ailleurs les deux décisions).

Libre, mais pas tout à fait, car le fait que le patient soit atteint de troubles psychiatriques relève du secret médical, ce qui semble avoir été bien oublié dans ces deux décisions.

Le juge de Nevers écrit que « contrairement à ce que soutient Madame X, en l’absence de mention sur la prescription de l’existence de troubles psychiatriques, il n’appartient aucunement à la caisse de rapporter la preuve de leur inexistence, de tels troubles n’étant pas présumés ».

Il appartiendrait donc à l’infirmière d’apporter la preuve, à des employés administratifs de la Caisse, que ses patients souffrent de troubles mentaux ou cognitifs….

Si c’est le cas, alors certains principes fondamentaux sont semble-t-il oubliés… Car si l’infirmière a mal qualifié les soins, la preuve de cette mauvaise qualification devrait aussi bien peser sur la Caisse puisque c’est elle qui l’invoque. C’est un grand principe rappelé à l’art. 9 du code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Il ne devrait donc pas peser sur l’infirmière seule d’apporter la preuve (en violant, qui plus est, le secret médical) qu’elle a bien soigné des patients atteints de démence ou de troubles cognitifs….. C’est à celui qui invoque un indû d’en rapporter la preuve et ceci est vrai dans les litiges avec les infirmiers (Cass soc 26 juin 1997 95-21093, Cass soc 9 décembre 1993 , 91-14182, et encore 91-14319 du 10 mars 1994 et 97-11141 du 1er avril 1999).

Et surtout, c’est là le plus grave, cela signifierait que l’état des patients peut et doit être révélé à des employés de services administratifs. C’est une violation manifeste de règles fondamentales. Le secret médical existe, et s’agissant d’un contrôle administratif et non d’un contrôle médical, les administratifs de la Caisse ne doivent pas avoir accès au dossier du patient et n’ont donc pas à savoir s’il est atteint de troubles, et lesquels. Seul le service du contrôle médical a accès à ces informations (R315-1-1 code de la Sécurité Sociale).

Pauvres patients, dont les secrets n’ont plus de secret !

Charlton Heston dans le rôle de Moïse montre à ses disciples les Tables de la Loi. Extrait du film de Cecil B. De Mille "Les 10 commandements"

Le principe dit de l’intangibilité de la prescription

Les infirmières avaient fait établir des attestations par les médecins qui indiquaient que tels patients étaient atteints de troubles cognitifs au moment des soins. Les Caisses avaient alors aussitôt invoqué l’argument-leitmotiv de l’ « intangibilité de la prescription ».

Cet argument est mis à toutes les sauces et la formule est si belle qu’elle est souvent accueillie par les tribunaux sans que personne n’énonce cette vérité de La Palice : un médecin qui atteste de l’état d’un patient au moment des soins ne lui prescrit rien, et donc s’il ne prescrit pas il ne fait pas de prescription. Il ne porte donc pas atteinte à l’intangibilité de la prescription qu’il a faite lui-même puisqu’il n’y ajoute rien…

Le juge de Nevers et , à la suite , la Cour d’Appel de Dijon, ont énoncé ce qui relève du bon sens : le médecin qui écrit que les patients X, Y et Z étaient atteints de troubles cognitifs lors des soins ne fait pas une nouvelle prescription. Il ne porte donc pas atteinte à une prescription qu’il a établie antérieurement. L’infirmière peut donc parfaitement apporter la preuve que les patients étaient atteints de troubles psychiatriques ou cognitifs au moment des soins, en produisant une attestation d’un médecin datée de 2 ans après.

Le principe de l’intangibilité de la prescription signifie d’ailleurs simplement que nul autre que le médecin ne peut modifier ou commenter son ordonnance, mais rien ne devrait empêcher le médecin lui-même de préciser ce qu’il a prescrit. C’est ce qui avait été plaidé à Nevers. Et le juge de Nevers décoche une excellente formule (à l’instar de la célèbre botte) qui explique de manière limpide ce qu’est la fameuse « intangibilité de la prescription » : « la prescription médicale ne peut être rédigée que par le médecin prescripteur et ne peut en aucun cas être modifiée ou faire l’objet d’annotations de la part d’une infirmière en vertu du principe de l’intangibilité de la prescription médicale, ce qui n’exclut pas que des précisions puissent être apportées par le médecin prescripteur. »

Il faut lire ces deux excellentes décisions car beaucoup de questions ont été posées aux juges, et aussi bien le jugement de Nevers que l’arrêt de Dijon contiennent d’excellentes réponses…. et font naître encore d’autres interrogations.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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