Le collaborateur infirmier doit pouvoir  développer sa propre patientèle

Le collaborateur infirmier doit pouvoir développer sa propre patientèle

un poussin qui protège un oeuf avec une de ses pattes et en s'asseyant dessus

Le contrat de collaboration infirmier qui ne mentionne pas que le collaborateur peut développer sa patientèle personnelle pendant sa collaboration est nul :

On croirait enfoncer des portes ouvertes, et pourtant voilà un point qui a fait l’objet d’une âpre discussion, dans un litige opposant une infirmière à son ancienne collaboratrice.

L’infirmière accusait son ancienne collaboratrice de « détournement de patientèle », au motif qu’elle se serait réinstallée dans un périmètre géographique interdit  par une clause de non concurrence.L’infirmière voulait aussi interdire à l’ancienne collaboratrice, quelle que soit l’adresse de son nouveau cabinet, de soigner des patients, quels qu’ils soient,  dans ce périmètre.

Dans un Jugement du 29 novembre 2018, le Tribunal de Grande instance d’AIX en PROVENCE rappelle que dans un contrat de collaboration, il doit obligatoirement être indiqué que le collaborateur peut développer sa patientèle propre.

un enfant attablé à un bureau se pose des questions au sujet d'un livre ouvert devant lui. Sur le bureau 2 piles de livre, une à gauche l'autre à droite. En fond, un mur bleu sur lequel sont 3 points d'interrogation

PROBLÈME ? un contrat « type » qui avait  été modifié…

En l’occurrence, l’infirmière titulaire du cabinet avait utilisé le contrat type de l’Ordre des infirmiers.

Mais elle avait supprimé du contrat toute mention d’une patientèle possible pour la collaboratrice pendant sa collaboration. Elle avait tout simplement effacé cette clause qui lui déplaisait.

Le procédé s’avère dangereux. Utiliser des formulaires alors qu’on ne mesure pas l’importance de toutes les mentions est déjà périlleux. Supprimer des mentions l’est encore plus, lorsque (comme cela est le cas ici) elles sont obligatoires. Cela peut rendre le contrat nul.

Certaines mentions étaient supprimées, d’autres avaient été ajoutées. Il était ainsi indiqué que tous les patients d’un certain périmètre « appartenaient » au cabinet X…..

Une mention bien maladroite, car évidemment les patients n’ « appartiennent » à personne, ils sont libres de choisir les personnes qui les soignent.

Mais l’intention était claire : pendant la durée de sa collaboration, l’infirmière collaboratrice ne pouvait avoir aucune clientèle, tous les patients qu’elle soignait dans le « périmètre » du cabinet « appartenaient » au cabinet de l’infirmière titulaire. Cela signifiait clairement qu’il lui était interdit d’avoir des patients dans la zone d’installation du cabinet de la titulaire.

A l’issue de la rupture de collaboration, un litige était né puis s’était envenimé, l’infirmière accusait son ancienne collaboratrice de détournement de patientèle, au motif qu’elle s’était réinstallée pendant quelques mois dans le périmètre de la clause de non concurrence.

L’infirmière collaboratrice soulevait la nullité de la clause de non concurrence, pour différents motifs.

une photo de patrick Macnee, dans le rôle de John Steed, la vedette de la série "Chapeau melon et bottes de cuir" . Avec son célèbre sourire énigmatique, il porte la main à son chapeau melon pour saluer.

Une manière élégante de résoudre la question

Le tribunal résout très élégamment le litige en ne statuant pas sur la question de la nullité de la clause de non-concurrence.  Cela lui évite de s’interroger sur la durée de cette clause de non concurrence, sur son périmètre. Cela évite aussi de se demander si l’infirmière s’est installée dans le périmètre interdit, et pour quelles raisons.

Le tribunal  choisit de déclarer nul le contrat de collaboration parce qu’il ne prévoit pas la possibilité pour le collaborateur de développer une clientèle personnelle.

C’est l’application pure et simple de la loi du 2 aout 2005 sur les petites et moyennes entreprises, art 18 :

Le contrat de collaboration libérale doit être conclu dans le respect des règles régissant la profession.  Ce contrat doit, à peine de nullité, être établi par écrit et préciser :  1° Sa durée, indéterminée ou déterminée, en mentionnant dans ce cas son terme et, le cas échéant, les conditions de son renouvellement ;  2° Les modalités de la rémunération ;  3° Les conditions d’exercice de l’activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle ;  4° Les conditions et les modalités de sa rupture, dont un délai de préavis ;  5° Les modalités de sa suspension afin de permettre au collaborateur de bénéficier des indemnisations prévues par la législation de la sécurité sociale en matière d’assurance maladie, de maternité, de congé d’adoption et de congé de paternité et d’accueil de l’enfant.

Cela montre qu’il ne faut pas imprudemment se servir de modèles de contrat et biffer au hasard des mentions qui peuvent être importantes.

Enfin, en cas de conclusion d’un contrat de collaboration, non seulement il faut mentionner que le collaborateur peut avoir sa clientèle personnelle, mais de plus il est conseillé, une fois par an au moins, de faire une liste des patients du cabinet et des patients qui sont personnellement attachés au collaborateur. Cela évite ensuite bien des soucis lorsqu’il s’agit de savoir pour quel infirmier le patient X ou Y a choisi le cabinet.

 

Catherine Marie KLINGLER
Avocat

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La qualification d’escroquerie est-elle réellement justifiée à l’égard d’une infirmière qui a facturé des soins effectués par ses remplaçantes, et qui leur a rétrocédé la totalité des honoraires ?

La qualification d’escroquerie est-elle réellement justifiée à l’égard d’une infirmière qui a facturé des soins effectués par ses remplaçantes, et qui leur a rétrocédé la totalité des honoraires ?

une infirière en blouse blanche qui montre ses mains menottées

Donc, c’est moi qui suis l’ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre…

(Victor Hugo, « les Contemplations »)

Dans un arrêt du 11 juillet 2017 ,  la Cour de Cassation approuve la Cour d’Appel d’Aix en Provence d’avoir condamné à une peine de 6 mois de prison avec sursis (pour escroquerie) une infirmière libérale qui a facturé des soins et des indemnités kilométriques à la place de ses remplaçantes, alors même que les soins ont été réalisés et que les sommes ont été reversées aux remplaçantes.

Madame X, infirmière libérale, avait été victime d’un accident de la circulation qui l’a immobilisée pendant une assez longue période. Elle avait fait appel, en toute légalité, à des remplaçantes, pendant le temps de son indisponibilité.

Mais elle n’avait pas respecté les règles de facturation. Les remplaçantes auraient dû facturer les soins en barrant le nom de l’infirmière sur les feuilles de soin, ou (depuis 2016) facturer avec une carte spéciale « professionnel de santé remplaçant » et télétransmettre leurs factures.

Or, Madame X avait facturé elle-même et avait reversé à ses remplaçantes les montants reçus de la Caisse primaire.

L’infirmière n’en avait évidemment tiré aucun profit. Il est dit  dans l’arrêt qu’elle voulait simplifier sa gestion. Il est probable qu’il s’agisse de sa part d’une méconnaissance des règles, assez complexes, de facturation.

L’infirmière aurait pu invoquer (s’agissant de faits qui apparemment remontent à 2010 ) la requalification de l’infraction en « fraude aux prestations sociales », passible de 5000EUR d’amende (art L114-13 ancien du code de la Sécurité Sociale)  mais il faut croire qu’elle ne voulait pas invoquer ce moyen, et qu’elle souhaitait demander sa relaxe pure et simple.

Qualifier des faits d’escroquerie alors même qu’il n’y a ni enrichissement de l’auteur ni préjudice de la victime, et ceci en dépit des termes de la loi («à son préjudice ou au préjudice d’un tiers ») est devenu banal, contre l’avis de certains éminents auteurs.  Il est plus choquant de lire que la condamnation serait justifiée par des « manœuvres frauduleuses » accomplies par cette infirmière.

On aurait pu d’emblée penser à un « abus de qualité vraie » : certains individus peuvent se voir qualifier d’escrocs dès lors que, pour tromper leurs victimes, ils abusent de leur appartenance à une  profession qui « inspire confiance » (« abus d’une qualité vraie »).

Aux yeux de la Justice, ces professions sont en général : notaire, huissier, médecin ou dentiste, banquier, maire, receveur général des impôts…. Mais ici cet argument n’a pas été retenu et il faut croire que les tribunaux considèrent que la profession d’infirmier n’inspire pas suffisamment confiance pour permettre d’abuser de malheureuses victimes.

S’il n’y a pas usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, ou abus d’une qualité vraie, alors le « simple mensonge »  ne suffit pas à caractériser l’escroquerie. Il faut des « manœuvres frauduleuses », c’est-à-dire des éléments autres que le mensonge, comme par exemple une mise en scène quelconque,  une attestation d’un tiers, ou tout autre élément extérieur au mensonge.

Et donc, pour retenir la qualification d’escroquerie, la Cour considère ici qu’il existe des manœuvres frauduleuses en dehors du mensonge. Lesquelles ?

Le  «mensonge » consiste à avoir indiqué que des soins étaient accomplis par Madame X … alors qu’ils l’étaient par des remplaçantes. Ce « mensonge » avait été véhiculé par la télétransmission, depuis le terminal informatique de Madame X, portant son numéro d’identification (numéro ADELI).

La  Cour retient que le mensonge était « corroboré par un élément extérieur lui donnant force et crédit, en l’espèce la télétransmission des feuilles de soins établies à son nom attestant des kilomètres fictifs parcourus ».

La télétransmission est-elle « un élément extérieur » ?  Elle n’est qu’un vecteur qui remplace l’écriture, pour porter le « mensonge » jusqu’à son destinataire (il y a quelques années ce « mensonge » aurait été simplement écrit, transmis par la Poste).

un homme assis à un bureau devant un ordinateur. Son visage est à peine visible sous la capuche d'une veste de couleur gris foncé, et il est dans la pénombre. La photo est grise et sombre.

Or pour qu’il y ait escroquerie au moyen d’un écrit mensonger, « l‘écrit doit être une pièce distincte de celle exprimant le mensonge lui-même. (Jurisclasseur pénal art 313-1 à 313-3 fasc 20 N°72 par Michèle Laure RASSAT, professeur émérite des facultés de Droit).

Ces principes étaient encore appliqués tout récemment et les tribunaux ont considéré comme de « simples mensonges » ne constituant pas des escroqueries :

Y aurait-il, de la part des juges, une mauvaise compréhension de la réalité du quotidien des soignants ?  

« La question, très fréquente, en pratique, des surfacturations médicales pose des problèmes complexes pas toujours bien identifiés par la jurisprudence » (Jurisclasseur pénal art.313-1 à 313-3 Fascicule 20 par Madame RASSAT).

Les choses ont considérablement évolué ces vingt dernières années.

Le principe que le simple mensonge ne suffit pas pour qualifier une escroquerie a été longtemps appliqué systématiquement aux membres des professions de santé y compris quand ils surfacturaient leurs actes aux organismes de protection sociale (Cass. crim., 25 sept. 1997 : Bull. crim. 1997, n° 313 ,  Cass. crim., 24 sept. 1998   Cass. crim., 7 févr. 2001 , jurisdata 2001-009113  et bien d’autres). On considérait qu’il n’y avait escroquerie que si une action supplémentaire s’ajoutait, par exemple le fait de raturer ou surcharger les documents  (Cass. crim., 7 févr. 2001, n° 99-87.992 , Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 09-82.071).

Progressivement on a vu apparaître des décisions qui punissaient d’escroquerie de simples surfacturations où aucun élément ne venait s’ajouter au mensonge ( Cass. crim., 8 juin 1999, n° 97-11.927, Cass. crim., 17 déc. 2014, deux arrêts, n° 13-88.520 et d’autres encore). Ces décisions punissent clairement le simple mensonge, au lieu de rechercher (conformément à la loi) les autres éléments nécessaires à la qualification d’escroquerie.

« Il est permis de penser que les choses deviennent de plus en plus floues avec le temps et  que le droit positif actuel, en la matière, est très incertain »  même source, Jurisclasseur pénal art.313-1 à 313-3 Fascicule 20 par Madame RASSAT).

Mais cette évolution ne concerne pas que les soignants. Elle s’attache en réalité non pas à un type de personnes, mais à certains types de documents qui sont désormais pour ainsi dire sanctifiés, et qui ne peuvent être utilisés pour « mentir », à peine de quoi le simple menteur se transforme tout à coup en dangereux escroc….

L’idée des juges est que certains documents doivent inspirer confiance plus que d’autres. La souillure d’un simple mensonge sur leur surface constitue alors une escroquerie.  Ce fut le cas d’abord pour des documents publics, puis pour les cartes grises, et récemment l’épidémie s’étend aux bilans et aux déclarations de TVA.

Cette évolution a pu surprendre car si le code pénal punit les « escrocs » qui utilisent une profession honorable pour inspirer confiance, il n’est, par contre, pas prévu par la loi de réprimer plus gravement un mensonge à cause du support sur lequel il est écrit.

Il faut bien trouver une explication et on en conclut finalement que certains documents, par leur nature, sont plus que des documents. Choisir de les utiliser pour mentir serait en soi une manœuvre distincte du mensonge lui-même.

« Décider que la simple production d’un faux bilan constitue une manoeuvre  frauduleuse, c’est reconnaître que cette sorte d’écrit porte en lui-même l’élément extérieur détachable du mensonge qu’il contient et de nature à lui donner force et crédit », Professeur Y. Mayaud dans « le mensonge en Droit pénal », thèse Lyon 1976 p.372.

Le  nombre de documents ainsi sanctifiés augmente constamment, signalé par les auteurs dans les revues juridiques. Y figurent par exemple désormais les bilans comptables, et les déclarations de TVA. Les mentions erronées effectuées sur ces supports, lorsqu’elles sont répétées, sont systématiquement qualifiés d’escroquerie (Cassation Criminelle 12.09.2006 , N°05 87.609).

Les documents ainsi « protégés » sont souvent ceux adressés à des administrations ou des personnes morales chargées d’un service public. Ainsi les professions de foi des futurs candidats à de futures élections ne devraient pas être atteintes par cette pandémie…. On voit poindre le souci de réprimer plus durement les atteintes à ce qu’on considère comme les biens matériels publics.

Il reste que le cas de l’infirmière X… est marginal puisqu’elle n’a facturé que des actes réellement effectués, sans surfacturation aucune. Le seul « mensonge » consiste à les avoir envoyés depuis son propre terminal. Les règles de la profession d’infirmière et en particulier celles relatives aux différents statuts (remplaçant, collaborateur), et à  la facturation sont non seulement complexes mais mal connues. L’ erreur commise par madame X…. est relativement répandue encore à l’heure actuelle et cette décision fait donc frémir.

Catherine Marie Klingler
Avocat au Barreau de Paris

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