L’ « accident du travail » d’une infirmière libérale…. abus de langage

une personne en peignoir de bain blanc, tombée par terre dans sa salle de bains, dont on ne voit que les jambes et une main qui se tient un mollet rougi, et des objets épars sur le sol : la brosse à dents, le dentifrice, les pantoufles

(Sur une interrogation d’une infirmière qui demande si , victime d’un accident à son cabinet, ses frais médicaux seront remboursés)

La couverture « accidents du travail et maladies professionnelles » correspond à une branche spéciale du régime de la Sécurité sociale qui ne concerne que les salariés et personne d’autre.

Il est donc erroné de dire qu’un libéral a un « accident du travail ». Qui dit « accident du travail » dit « salarié ». Pour un libéral, il peut y avoir un accident professionnel ou une maladie liée à l’exercice de sa profession, mais c’est un abus de langage de parler d' »accident du travail ».

Donc deux cas sont possibles :

1. en l’absence d’assurance volontaire  

A moins d’une démarche particulière, le libéral n’est pas assuré au régime des accidents du travail puisque ce régime, qui est une BRANCHE  séparée des assurances sociales,  ne bénéficie, de plein droit,  qu’aux salariés. Donc si le libéral remplit une déclaration d’accident du travail sur le formulaire prévu à cet effet, il y a un risque que la Caisse lui réponde  que ce n’est pas garanti, ce qui est vrai, car jamais le libéral n’a été assuré dans la branche accident du travail….. et aucun frais ne sera remboursé.

La Sécurité sociale est un peu comme une assurance. Donc pour faire une déclaration encore faut-il que l’on fasse la bonne déclaration  dans la bonne branche, autrement dit le bon risque, et qu’on soit assuré . Puisque le libéral n’est pas assuré dans la branche AT (réservée aux salariés) , faire une déclaration d’AT c’est comme déclarer un accident de voiture à l’assurance qui assure un  appartement ….En faisant une déclaration d’accident du travail (alors que ceci ne concerne que des salariés) le libéral risque même de ne pas être remboursé de ses soins puisqu’il ne s’adresse pas au bon régime.

Il est donc habituellement préconisé  de tout simplement présenter une demande de remboursement de soins comme pour n’importe quelle maladie (peu importe la cause)  et non pas de déclarer un « accident du travail » (qui n’est pas couvert évidemment puisque les libéraux ne relèvent pas de ce risque).

L’infirmier sera alors couvert exactement comme pour une autre maladie, c’est à dire imparfaitement, par le régime général mais il est faux de dire que ses soins ne seront pas du tout remboursés. ils le seront partiellement, comme dans le régime général (alors que pour les salariés ceux ci bénéficient  du régime AT et sont remboursés à 100%).

A ce sujet les art L411 et L444 qui sont cités sur les sites des assurances sont là pour faire joli puisque cela concerne (pour le premier) la définition des accidents du travail (qui ne concernent que les salariés) et pour le 2ème la définition de ces mêmes accidents quand ils surviennent hors du territoire français : pour le coup on est, là ,  totalement hors sujet.

Voir les sites d’information des médecins (qui sont dans le même cas) notamment celui ci qui  explique clairement les choses :

2. possibilité d’assurance volontaire

Bien qu’il ne soit pas assuré de plein droit dans cette branche, le libéral peut souscrire auprès de la Sécurité Sociale une assurance spéciale pour bénéficier d’une extension  (partielle seulement) du merveilleux régime des salariés au titre du risque « accident du travail ». Il paie alors une cotisation supplémentaire. Le régime des salariés qui prévoit le remboursement des soins à 100% lui est alors étendu. En revanche il ne bénéficiera jamais des indemnités journalières dont bénéficient les salariés et qui n’existent que pour les gens qui perçoivent des salaires.

 

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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Une infirmière libérale tombe de Charybde en Scylla

une affiche vintage d'une infirmière de la 2ème guerre mondiale sur fond de croix rouge et au-dessus la mention "HELP" (Au secours)

Après être tombée dans une bouche d’égoût dont la plaque avait basculé sur son passage (c’est un cas plus fréquent qu’on ne le croit), la malheureuse avait contracté une infection nosocomiale à la clinique V.C. (toute ressemblance ou similitude avec des personnages existants ne pourrait être que fortuite). Elle avait dû interrompre son activité pendant près d’un an, et conservait une raideur du genou.

Les responsables étaient d’une part la société chargée d’entretenir les plaques, et d’autre part la clinique.  La plus grande partie du dommage était causée par l’infection nosocomiale, qui avait entraîné un long arrêt de travail.

Lorsqu’un dommage a plusieurs causes et qu’il existe plusieurs responsables, chacun doit indemniser la victime en proportion de la gravité de la faute qu’il a commise (et non en proportion des conséquences de chacune des fautes).  Mais les choses se compliquent car il existe des responsabilités dites « sans faute » , ce qui signifie qu’il n’est alors pas nécessaire d’avoir commis une faute pour être responsable. Il n’y alors pas de « faute plus grave » puisque personne ne s’occupe , dans ce cas, de savoir si une faute a été commise.

Et justement  la responsabilité pour infection nosocomiale est une responsabilité pour laquelle il n’est pas  nécessaire de démontrer l’existence d’une faute (L1142-1 du code de la Santé publique).  Il en va de même pour la responsabilité du fait de la plaque d’égout (responsabilité du fait des choses, art.1384 du code civil).

En pareil cas, la règle est que les deux responsables « sans faute » doivent se partager la charge du préjudice à parts égales.

La Cour d’Appel avait oublié ce principe.

Dans un élan d’équité, et voyant que l’infection nosocomiale était à l’origine du plus long arrêt de travail, elle avait estimé devoir mettre à la charge de la clinique V.C.  la majeure partie du préjudice. C’était oublier que si l’infirmière n’était pas d’abord tombée dans les égoûts, elle n’aurait pas non plus été hospitalisée et n’aurait donc pas contracté d’infection nosocomiale. Et ce qui peut sembler « juste » peut aussi sembler faux si on le voit sous un autre angle.

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 13 novembre 2014,  casse l’arrêt et rappelle la règle de Droit, qui est en l’occurrence un partage à parts égales entre deux responsables « sans faute ».

Une autre question était soulevée, celle du préjudice.

L’infirmière avait 59 ans et la clinique prétendait qu’elle n’avait qu’à reprendre l’exercice de sa profession (après un an d’interruption , et avec un genou raide…). Elle avait évidemment perdu tous ses patients. Qu’à cela ne tienne, disait la clinique, elle n’a qu’à se reconstituer une clientèle….

Les juges ont estimé  qu’il était illusoire de prétendre qu’elle reconstituerait sa patientèle. Ils décident donc de lui allouer une somme qui représente ses revenus moyens multipliés par le nombre d’années qui lui restait à travailler jusqu’à sa retraite, soit une somme de 178.750EUR (basée sur des revenus annuels de 30.000EUR).

Une autre méthode aurait consisté à capitaliser (suivant une table de capitalisation) les pertes de revenus et l’éventuelle perte de retraite consécutive, mais il faut croire que le calcul était moins favorable puisque l’infirmière avait choisi une simple multiplication : revenu annuel X années restantes jusqu’à sa retraite.

Elle obtient gain de cause plus de 10 ans après sa chute !

Observons pour finir que cette infirmière malchanceuse a fait une chute le 30 juin 2003 et qu’elle a obtenu gain de cause le 3 juillet 2013, soit plus de dix ans après, par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE. Elle a du ensuite se défendre sur un pourvoi en Cassation diligenté par la clinique (ou plus vraisemblablement par sa Cie d’assurances) et l’affaire ne s’est terminée que par l’arrêt de la Cour de Cassation du 13 novembre 2014. On espère qu’elle avait perçu des provisions sur son préjudice ou qu’elle bénéficiait d’une assurance.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris.

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